‘‘They police us, they spy on us, tell us that makes us safer… We’ve never been in more danger’’ – Fox Mulder
Quatorze ans après avoir tiré leur révérence, les agents Mulder et Scully reviennent là où ils sont finalement le plus à leur place : sur le (plus vraiment) petit écran. Les X-Files sont ré-ouverts et on ne va pas bouder notre plaisir ! Celui de découvrir de nouveaux monstres, de se perdre à nouveau dans le labyrinthe de la Conspiration, et de frissonner au son de la musique de Mark Snow…
« My Struggle » – Écrit et réalisé par Chris Carter
Il y a quatorze ans, The X-Files s’était achevée sur Mulder (David Duchovny) découvrant « The Truth » (9×19-20), ou du moins le croyait-il. Dans une base militaire secrète, il avait accédé aux données obtenues dans le vaisseau extraterrestre écrasé à Roswell, qui mentionnaient la date de la colonisation de la Terre, prévue depuis des centaines d’années : le 22 décembre 2012. Il devait alors comprendre que c’était face à cet inéluctable compte-à-rebours que s’était organisée une Conspiration de quelques hommes prêts à tout pour sauver au moins une petite partie de l’Humanité, quitte à collaborer activement avec l’envahisseur venu d’ailleurs. S’il s’était opposé à leurs méthodes, Mulder pouvait-il vraiment objecter à leur motivation ? L’Homme à la Cigarette, un des derniers survivants de ce groupe, avait organisé cette révélation. Il tentait ainsi une dernière fois de légitimer ses actes et de remporter une victoire symbolique.
Nous sommes au regret de vous annoncer que la fin du monde a été annulée
Mais nous sommes plus de trois ans après 2012, et rien ne s’est passé. Le monde a continué de tourner comme avant. Comment concilier cette réalité avec la vérité que Mulder croyait connaître ?
C’est, d’une certaine manière, pour pouvoir poser cette question que Mulder et Scully (Gillian Anderson) reprennent du service. Le passé existe. Chris Carter (créateur de la série, scénariste et réalisateur de cet épisode) n’élude jamais ce qu’ont vécu les personnages et n’omet aucun détail de leur histoire, même les parties qui ne sont pas populaires – Scully travaille toujours dans le même hôpital que dans le film I Want to Believe sorti en 2008, Mulder végète dans le même bureau de sa maison isolée.
Mais, à l’image de la conclusion de cette première minute, ce passé rappelé est aussitôt brûlé. Fi de la nostalgie ! (Dommage alors, d’y céder par ailleurs un peu gratuitement en ressortant à l’identique un générique avec une choucroute d’époque sur la tête de la pauvre Gillian Anderson). Mulder et Scully sont de retour pour s’impliquer dans le monde d’aujourd’hui.
C’est-à-dire un monde qui semble s’être enfoncé davantage encore dans une paranoïa généralisée, qui pousse une majorité de citoyens à accepter de renoncer à toujours plus de libertés pour une promesse de sécurité. « Nous n’avons jamais vécu à une époque aussi interconnectée qu’aujourd’hui, » explique Chris Carter, « et nous n’avons jamais vécu dans un monde où l’on est aussi méfiant envers ces connexions ».
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Mulder et Scully réunis
On imagine Fox Mulder vivre ces années de spirale infernale en caleçon devant un ordinateur, se gorgeant de théories conspirationnistes en même temps qu’il se lamentait sur ce qui était en train de se passer. C’est le paradoxe de l’agent Mulder. Lui qui a grandi dans une famille détruite par les secrets ayant conduit à l’enlèvement de Samantha, une famille rongée par les non-dits où l’amour ne pouvait plus s’exprimer, a toujours été en recherche de relations profondes et d’honnêteté. Contrairement au conseil donné à sa mort par son premier informateur, Gorge Profonde, Mulder a souvent fait confiance à tout le monde. Au fond, c’est ce qui l’a sauvé. Car même si beaucoup l’ont trahi, accepter de placer sa confiance en cet agent Dana Scully, qu’il savait pourtant envoyée pour le discréditer, l’a sauvé maintes et maintes fois.
Séparé d’elle, Mulder a été entraîné dans la spirale. Il est lui-même fragile, fébrile, plus parano que jamais et prêt à tout remettre en cause, surtout si cela peut donner un sens au fait qu’en 2016, le monde tourne encore sans que les extraterrestres n’aient réclamé notre planète…
Deux agents face aux ténèbres
Dans I Want to Believe, aussitôt après avoir poussé Mulder à reprendre ses enquêtes, Scully était arrivée au constat qu’elle supportait difficilement de le voir ramener dans leur foyer les ténèbres qu’il pourchassait. Mais elle ne supportait pas plus de le voir se morfondre dans son isolement.
Si l’intrigue du film leur offrait un répit final, le paradoxe du duo s’y trouvait établi : Mulder et Scully sont irrésistiblement attirés l’un par l’autre – au moins autant sur un plan intellectuel que physique – mais il leur est impossible de trouver un équilibre dans une vie commune, car Mulder ne peut pas vivre sans sa quête. Contrairement à Scully, il n’est pas capable de reconstruire autre chose. Les résolutions – la disparition du Syndicat, la vérité sur le sort de sa sœur Samantha, l’absence d’invasion en 2012—ne l’ont jamais apaisé.
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Mulder a trouvé plus parano que lui : Tad O’Malley
Alors lorsque Skinner joue les entremetteurs pour le compte de Tad O’Malley, prêcheur conspirationniste qui déverse ses théories du complot sur Internet, Mulder saute sur l’occasion de retrouver son obsession – et son ancienne partenaire. O’Malley a mené sa propre enquête sur le phénomène extraterrestre. Il veut présenter à Mulder et Scully ses conclusions, les faire valider par leur expertise, avant de les rendre publiques.
I Want to Believe constituait une proposition singulière pour The X-Files : un scénario character-driven, c’est-à-dire une intrigue qui constituait avant tout un prétexte à une étude de caractère. My Struggle revient aux fondamentaux de l’écriture de la série : l’histoire est mise en avant, et les personnages s’y révèlent de manière fracturée, au service d’un script plus directement politique que la série ne l’a jamais été.
Si dans les X-Files ‘‘classiques’’, Chris Carter avait pris quelques précautions sémantiques – le Syndicat était une entité privée qui s’était auto-déclaré complètement indépendant par rapport aux gouvernements officiels – l’ère actuelle post-Snowden lui donne l’occasion d’attaquer billes en tête sur la société de la surveillance de masse, affichant un dégoût clair envers une société en déroute où l’avidité le dispute à la lâcheté. Le personnage de Sveta met directement en cause l’ancien compromis : Mulder lui-même a été employé du gouvernement, ce qui justifie ses doutes à son égard. Elle exprime que Mulder lui-même a déjà douté du caractère bénéfique des institutions politiques auxquelles il appartenait – et qu’il s’apprête pourtant à rejoindre à nouveau.
L’influence des films politiques des seventies et de JFK sur Chris Carter ressort alors, adaptée à la réalité médiatique contemporaine. O’Malley incarne un visage de l’Amérique actuelle, celui d’une défiance radicale, et pour tout dire délirante, envers toute forme d’État. Joel McHale fait instantanément oublier ses précédents rôles comiques pour se glisser dans la peau de ce néoconservateur flambeur, qui interagit remarquablement bien avec les deux personnages. Scully peut y reconnaître l’individualiste de droite un peu réac qui sommeille en elle, tandis que Mulder peut oublier ses penchants gauchistes pour s’identifier à sa paranoïa et à sa défiance envers un gouvernement qui n’a pas placé l’intérêt général des citoyens en tête de son agenda. La série se tient alors sur la corde raide, entre le constat d’un échec flagrant de la Démocratie contemporaine et les immenses réserves de Scully sur des simplifications conspirationnistes ‘‘stupides’’.
David Duchovny et Gillian Anderson retrouvent les rôles de Mulder et Scully avec un dynamisme et un investissement qui avait souvent manqué à partir de la septième saison.
Il y a un raté majeur : cette scène sur le porche, où strictement rien ne marche, ni les dialogues, ni la mise en mouvement incroyablement forcée des acteurs – mais pourquoi Mulder ne lâche pas les épaules de Scully ? Au final, ce qui devrait être un pivot dramatique et émotionnel sonne terriblement faux (et c’est cet extrait-là qui fut montré en premier aux journalistes américains l’été dernier ! Incompréhensible ! La cause, peut-être, de critiques très différentes de celles qui ont émergé après la projection de l’ensemble de l’épisode au Mip à Cannes l’automne dernier).
Mais le reste fonctionne pleinement. Les acteurs ont l’air d’avoir du plaisir à reprendre leurs batailles d’arguments et, du coup, on prend beaucoup de plaisir à les revoir. Les personnages ont mûri, mais leur essence est intacte. Leur séparation remplit parfaitement sa fonction : la relation entre les deux agents a retrouvé du piquant et de la tension, ce léger inconfort permanent qui provenait auparavant de la tension sexuelle non résolue entre eux, et qui vient désormais de leur ancienne vie commune.
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Roswell, peut-être pour la première fois à l’écran
D’une vérité à l’autre
Le crash de Roswell, événement évoqué constamment dans X-Files, n’avait encore jamais été montré. Mais quelle est sa signification ? Les flash-backs ne répondent pas encore à cette question – mais le dernier épisode de cette saison limitée, My Struggle II apportera probablement des éléments supplémentaires.
Roswell est-il l’événement fondateur d’une vaste conspiration, qui permit de découvrir le plan d’invasion des extraterrestres en même temps que d’obtenir l’accès à leur ADN et de lancer des expériences d’hybridation ? C’est la version du Fumeur.
Ou bien n’est-il qu’un « écran de fumée », une simple récupération après un crash parmi beaucoup d’autres, et pas la mieux menée, ni la plus utile ? C’est ce qu’affirmait Gorge Profonde dans The Erlenmeyer Flask (1×24), le final de la première saison. Cet épisode clef qui, longtemps avant qu’on en comprenne le contexte, présentait le but ultime des conspirateurs – transformer des Humains en hybrides par thérapie génique – en même temps qu’il révélait que les généticiens travaillaient sur une substance extraterrestre labélisée Purity – le nom officiel de l’Huile Noire, comme on l’apprendrait en sixième saison.
Après des années à privilégier l’hypothèse de l’Homme à la Cigarette, ce Revival de The X-Files retourne la mythologie pour se demander si la vérité ne sortait pas de la bouche du tout premier informateur de Mulder.
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Mulder, de retour au FBI, face à son ancien patron : Skinner
C’est un pari malin, mais aussi risqué. Malin en cela qu’il met les nouveaux venus quasi sur un pied d’égalité avec les anciens fans. Risqué, parce qu’il n’est pas facile de rayer d’un trait neuf saisons de continuité. Nous, téléspectateurs, avons vu que le Syndicat collaborait activement avec les extraterrestres – dans la séquence finale de Herrenvolk (4×01), par exemple, mais cela est également clair dans les scènes mettant en avant le Syndicat du film Fight the Future.
Dès lors, nous savons que la vérité n’est pas exactement celle qu’avance Tad O’Malley. Pour autant, notons que ces moments de preuves, Mulder, lui, n’y a pas assisté. Les choses sont plus ouvertes pour lui, et dès lors il n’est pas si étonnant de le voir faire le grand saut en direction de cette hypothèse, que l’absence d’évènements en 2012 semble valider. Ce n’est en rien la trahison que certaines des critiques négatives américaines semblent déplorer – tout en enfilant les clichés comme des perles. Quatorze ans après la fin de la série, on aurait pu espérer que la grande cohérence globale de la mythologie de The X Files finisse par s’imposer, surtout à l’aune des successeurs, de Lost à Battlestar Galactica. C’est visiblement trop demander.
Le risque est aussi que cette nouvelle vision de la mythologie se dégonfle comme une baudruche pour nous ramener exactement au même point de départ – c’était clairement le défaut de l’intrigue de la perte de croyance de Mulder en saison 5, qui contient des points communs avec celle-ci (à ceci près qu’elle n’avait jamais été crédible, même du point de vue de Mulder).
The X-Files a toujours présenté une version relativement subtile de l’idée de complot. À l’objection commune qu’une véritable conspiration de si grande ampleur ne pourrait exister, car il y aurait forcément quelqu’un pour la trahir et parler, la série répond directement. Ces lanceurs d’alerte existent et sont multiples, et la vérité ne se trouve pas « ailleurs » mais bien « out there », c’est-à-dire là, quelque part, à portée de main. Dans les livres d’Alvin Kurtzweil, les nouvelles de l’Homme à la Cigarette, les confidences des multiples informateurs. Ce qui est mis en scène dans la série, c’est un brouillage perpétuel de cette vérité par la dissémination de fausses informations. Des agents, comme Kritschgau (Gethsemane, 4×24), sont persuadés de faire partie du complot alors qu’ils sont en fait manipulés de A à Z, et atteints de manière intime (le fils de Kristchgau est tué) pour les pousser à disséminer de fausses informations en toute sincérité. Ce faisant, le Syndicat a réussi à discréditer, puis ridiculiser la piste extraterrestre. ‘‘My life has become a punchline,’’ commente Mulder au début de l’épisode devant des images du Président Obama s’amusant de la Zone 51 sur un plateau de télévision. The X-Files revient à une époque où l’idée d’extraterrestres présents sur Terre et expérimentant sur des vaches est devenue un peu ringarde, et loin de l’ignorer, elle l’intègre à sa narration : c’est un coup de la conspiration !
Dans la fabrique actuelle de théories du complot, les scènes d’introduction, images « amateurs » d’ovnis saisis au vol, interrogent brillamment la frontière floue entre fiction et réalité.
Alors la vérité selon Tad O’Malley, telle que dévoilée dans My Struggle, est-elle simplement un avatar de ce complot dans la conspiration ? Ou bien cache-t-elle quelque chose de plus réel ? Pour des colons soi-disant déterminés à éradiquer l’Humanité, les extraterrestres ont en réalité toujours semblé très intéressés par les expériences génétiques mêlant les ADN Humains et aliens, au point de mener les leurs même après la disparition du Syndicat. L’objectif réel des extraterrestres de X-Files ne nous a-t-il pas toujours été caché ? Cet arc pourrait-il finalement le révéler ?
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Scully, à l’aise dans sa nouvelle vie
Ce rebond inattendu de la mythologie ne manque donc pas d’intérêt, et pourrait se révéler plus pertinent que prévu. Néanmoins, pour ce qui concerne My Struggle, la réintroduction de l’univers et des personnages, ainsi que la préparation de ce retournement de point de vue sur l’histoire que nous connaissons, prennent beaucoup de temps, dans un épisode qui doit tenir dans la durée standard. Il manque peut-être une enquête un peu plus solide et construite pour porter le tout – la mythologie fonctionne toujours mieux quand l’épisode est centré sur un cas concret.
C’est d’autant plus le cas que l’intrigue secondaire qui sert à motiver Scully à reprendre du service – les tests qui révèlent qu’elle est « porteuse d’ADN extraterrestre » est extrêmement répétitive. En effet, Scully a fait exactement la même expérience, avec le même résultat, dans Redux (5×01). Elle est aussi difficile à comprendre parce que très imprécise. Qu’est-ce que cela signifie exactement, être porteur d’ADN alien, surtout compte tenu des révélations précédentes de la série, notamment celle que tous les Humains sont porteurs des gênes extraterrestres dans leur ADN inactif – The Beginning (6×01) ?
Malgré ces défauts, et parce que le choix de respecter l’équilibre entre les différents types d’épisodes, même dans ce format de saison réduit, me semble le bon, My Struggle fait le maximum avec le temps imparti. Charge à sa suite de clarifier de façon satisfaisante les enjeux, à défaut de les résoudre – ce qui semble très improbable, tout indiquant que The X Files est partie pour revenir à nouveau sur nos écrans de manière relativement régulière.
En conclusion : certes ce retour est parfois bavard et quelque peu confus, pour pouvoir arriver à son objectif en 42 minutes. Néanmoins, il ressuscite The X-Files de telle sorte qu’elle semble à la fois totalement fidèle à elle-même mais pourtant parfaitement contemporaine. Le propos politique est mordant, engagé, et suffisamment ambigu pour alimenter de vraies joutes entre Mulder et Scully. Le nouvel angle de la Conspiration est risqué et audacieux. Beaucoup reposera sur son dénouement, mais je suis curieux de voir la suite.
Questions ouvertes :
- Que cache cette histoire d’ADN alien exactement ? Qu’a découvert Scully en étudiant l’ADN de Sveta… et le sien ?
- ‘‘Roswell était un écran de fumée’’, dit le nouvel informateur de Mulder – un médecin qui s’est trouvé sur les lieux immédiatement après le crash, et qui se dit terrifié par ce qu’on a fait de son travail. Il répète ainsi la phrase de Gorge Profonde à la fin de la première saison, qui semble totalement étrange dans le contexte de ce que nous croyions savoir jusqu’ici. Qu’est-ce que cette phrase signifie exactement ?
(Notons que la « traduction » de cette phrase dans la version française de The Erlenmeyer Flask (1×24) – ‘‘Roswell était un amateur’’ devient donc encore plus problématique.) - Ces enfants sans oreilles que traite le Docteur Scully, n’ont-ils vraiment rien à voir avec les extraterrestres ? Elle mentionne qu’on les retrouve souvent chez les Indiens Navajos. Précédemment, la série a introduit de nombreux liens entre les peuples Indiens et les aliens.
- Quel serait le vrai but de la Conspiration ? Les aliens sont-ils impliqués ? Et si oui, comment et pourquoi ?
- Et surtout comment, mais comment l’Homme à la Cigarette peut-il bien être encore vivant ?