Après un lancement événement juste après la demi-finale du Superbowl, le revival de The X-Files rejoignait dès le lendemain sa véritable case de programmation, le lundi à 20 heures sur le Network américain Fox. Au programme, les terrifiantes expériences génétiques de Founder’s Mutation, le premier épisode indépendant (quoique…) de cette courte saison.
« Founder’s Mutation » – Écrit et réalisé par James Wong.
C’était l’une des interrogations liées au retour de The X-Files : le public de 2016 serait-il en mesure d’apprécier l’alternance d’épisodes mythologiques et de loners, la formule qui avait fait le succès de la série originale, alors que les épisodes indépendants semblent passés de mode ?
L’ordre est ailleurs
L’exemple de Fringe, qui a dû rapidement renoncer aux loners, fut souvent évoqué. C’était une analyse pour le moins superficielle. Premièrement, les loners de Fringe n’ont jamais été très bons. Ce type d’approche n’était pas le fort de l’équipe créative réunie autour de la société de production de J. J. Abrams, Bad Robot. Deuxièmement, si la disparition des épisodes indépendants de Fringe peut être connectée à une montée en puissance qualitative, elle a surtout correspondu au moment où cette série a renoncé au mainstream pour se contenter de faire plaisir à une niche extrêmement réduite de fans. C’est exactement le chemin inverse de celui de The X-Files, née comme une série de niche, devenue mainstream par sa capacité à captiver aussi le grand public en préservant plusieurs niveaux de lecture / compréhension et un haut niveau général de qualité.
On ne présente plus les choses ainsi de nos jours, mais en réalité, chaque épisode (ou double-épisode) mythologique était aussi conçu pour être vu indépendamment des autres, et potentiellement appréciés même par un téléspectateur qui regarderait la série pour la première fois.
Non seulement je ne pense pas que le public de 2016 rejette les loners, mais je crois en fait qu’il est précisément en recherche de plus de séries à épisodes indépendants de qualité. Il faut simplement comprendre que « le public » ne veut pas dire « les gens qui postent des commentaires sur Internet ».
Néanmoins, cette interrogation fut suffisamment prise au sérieux par Chris Carter pour qu’il décide de changer l’ordre de diffusion après le tournage.
En effet, loin d’être un pur loner, Founder’s Mutation est ce que nous autres fans appelions à l’époque un « épisode semi-mythologique » : c’est-à-dire une enquête de Mulder et Scully située à la périphérie extérieure du grand complot. Pensé à l’origine pour être l’épisode 5, qui remettrait ces thématiques sur le tapis en introduction à leur retour au premier plan dans le final, il fut décidé de lui donner la fonction inverse.
Le segment écrit et réalisé par James Wong devient une transition qui permet de ne pas passer trop brutalement de la mythologie à une enquête totalement indépendante, et d’accoutumer un public qui n’y serait pas habitué aux changements de pied fréquents de la série.
Par son positionnement original (les épisodes semi-mythologiques sont assez rares), Founder’s Mutation permet, par ailleurs, de verbaliser une idée qui ne se trouve quasiment qu’en sous-texte de la série originale : nombre de pouvoirs ou monstres des épisodes indépendants de la série pourraient avoir pour cause l’activation d’ADN extra-terrestres chez des Humains.
Science sans conscience…
Ironiquement, Founder’s Mutation est lui-même un épisode assez Fringien. Extrêmement riche, The X-Files fut démontée en kit pour nourrir d’autres séries se spécialisant dans des domaines spécifiques : les fantômes (l’adaptation télé en 1996 Poltergeist: The Legacy), les virus tueurs (Burning Zone) ou, dans le cas de Fringe, les dangers de la recherche scientifique non-contrôlée.
L’intrigue à tiroirs de James Wong (qui devient très claire au second visionnage, quand le premier force le spectateur à courir derrière des basculements très rapides – une poignée de minutes supplémentaires auraient autorisé des transitions un peu plus fluides) nous entraîne d’une compagnie high-tech, Nugenics Technology, sous-traitant du ministère de la Défense et spécialisée dans la génétique, jusqu’aux couloirs de plusieurs institutions médicales : un hôpital de proximité qui dispose d’un programme d’aide pour encourager l’adoption plutôt que l’avortement chez des femmes pauvres et marginalisées, une clinique spécialisée dans le traitement de maladies génétiques rares, et enfin une clinique psychiatrique.
Une marque de fabrique essentielle de X-Files est sa volonté de proposer une narration visuelle, et sa recherche constante de moments graphiques, souvent horrifiques. Quand on considère que le cas paranormal de l’épisode est centré sur un ado ayant le pouvoir, purement mental, de communiquer par une forme de télépathie, il est remarquable de constater à quel point Founder’s Mutation réussit dans ce domaine.
Une idée brillante est, par exemple, celle de l’apparition en masse d’oiseaux, causée par le fait que les ultrasons émis par Kyle Gilligan (wink, wink) font remonter les vers de terre à la surface – dommage que l’incrustation numérique des oiseaux laisse un peu à désirer. Mais on notera aussi l’image d’ouverture de l’œil injecté de sang qui mène à la mort finale d’Augustus Goldman – dans ce cas les effets sont spectaculaires –, la jeune Molly respirant sous l’eau de la piscine, le plan de la main de Kyle sortant du ventre de sa mère, et bien sûr, la terrifiante et bouleversante galerie des enfants victimes de terribles mutations.
Doug Savant pousse peut-être un peu trop loin l’idée du personnage aux mouvements mécaniques, comme un robot dénué d’émotions. Mais il est intéressant de constater grâce au flash-back que c’est le fait d’avoir brisé sa famille par ses expériences qui l’a vraiment rendu ainsi. La performance de Rebecca Wisocky dans le rôle de sa femme institutionnalisée est flippante à souhait (pendant ce temps, en coulisses, elle s’en prenait à la poitrine de Gillian Anderson avec sa pomme) et Jonathan Whitesell est aussi convaincant quand Kyle doit être chaleureux que lorsqu’il est totalement menaçant.
Duchovny et Anderson aussi apparaissent parfaitement à l’aise, d’autant que maintenant que son retour aux X-Files a revitalisé Mulder, Duchovny est moins contraint (et peut aborder avec gourmandise les passages comiques, notamment quand Mulder découvre que tous les « secrets » ne cachent pas de terribles conspirations).
Les vies rêvées ou cauchemardées
Outre leur propension à pousser loin l’horreur, le travail de Glen Morgan et James Wong sur The X-Files est resté célèbre pour le soin qu’ils apportaient aux personnages – aussi bien ceux créés spécialement pour leurs épisodes que Mulder et Scully eux-mêmes. On en retrouve la trace ici, probablement poussé encore plus loin que ce que la série originale se permettait, avec les deux séquences, au milieu et à la fin de l’épisode, où Scully puis Mulder s’imaginent leur vie s’ils avaient élevé William.
Chris Carter a évoqué cette saison courte en disant que le travail sur les personnages de Mulder et Scully assurerait une cohésion sur les six épisodes, et cela en est la manifestation. En évoquant un adolescent créé par des manipulations génétiques, adopté après sa naissance et aujourd’hui à la recherche de la sœur dont il a été séparé, Founder’s Mutation appuie là où cela fait mal chez les deux personnages principaux.
La décision de faire adopter William est clairement posée comme l’acte de renoncement final des deux agents à la possibilité d’une vie normale. Comme s’il avait représenté leur seule possibilité de résister à la tentation de se replonger dans les affaires non-classées qui se manifeste dans ce revival. Chacun à leur façon, Scully et Mulder restent cependant persuadés que l’anormal les aurait rattrapés. Leur rêve tourne inévitablement au cauchemar. Scully s’imagine confrontée à la transformation de ce qu’elle aurait eu de plus précieux en un monstre similaire à ceux qui ont fait l’objet de tant de leurs enquêtes. Quant à Mulder, sa peur intime est celle d’une réactivation de la perte de Samantha, cet événement fondateur qui l’a à jamais transformé.
Ces deux séquences miroir, évocatrices sans verser trop loin dans le mélodrame ont parfaitement réussi à m’émouvoir.
Le projet
Semi-mythologique, parce que ses enjeux concernent des victimes collatérales de la conspiration, Founder’s Mutation se connecte quand même assez clairement avec l’intrigue de cette saison. Sa position d’origine, juste avant le final, lui permet de pousser assez loin les allusions. Si bien qu’il me semble qu’il donne en fait beaucoup de clefs qui permettent d’établir des théories solides sur l’arc actuel de la série, et sur ce qu’il s’est passé dans le monde des X-Files depuis 2002. J’ai été aidé en cela par l’excellente review de My Struggle par John Kenneth Muir, fin connaisseur du travail de Chris Carter.
Même si je n’en sais pas plus que vous, lecteurs, peut-être que certains ne voudront pas lire les spéculations qui suivent, les considérant comme des potentiels spoilers.
Toute la question posée par My Struggle était de savoir jusqu’à quel point Mulder avait pris les théories de O’Malley pour argent comptant, et accepté cette idée d’extra-terrestres fondamentalement gentils, dont la présence aurait été utilisée par de méchants conspirateurs, comme la vérité absolue. Or My Struggle laissait très clairement entendre que la vérité selon Tad O’Malley ne devait pas être acceptée telle quelle. Le nouvel informateur de Mulder, qui croit semble-t-il en la même version de la vérité qu’O’Malley, avertissait Mulder :
Le Vieil Homme : “Cause you weren’t even close. Warring aliens lighting each other on fire and other such nonsense!”
Le Vieil Homme : “Parce que vous étiez loin du compte. Des extra-terrestres en guerre qui s’enflamment les uns les autres, et autres absurdités !”
Or, cette réplique fait référence aux Rebelles sans Visage de Patient X / The Red and the Black (5×13-14) et à des événements auxquels nous, spectateurs, avons directement assisté. Nous savons qu’ils sont vrais ! Cet arc mène quelque part, mais pas exactement là où O’Malley et le Vieil Homme le pensent.
Douché par Scully à l’issue de ses élucubrations qu’elle qualifie de « tellement stupides qu’elles confinent à la haute trahison », Mulder redescend dès la fin de My Struggle. S’il a vacillé à un moment, aspiré par la paranoïa généralisée générée par sa dépression, il ne tarde pas à reprendre contact avec le sol. Dans la scène du parking à la fin de l’épisode, il est redevenu l’homme qui doute en recherche de la vérité, plutôt que le parano qui croit tout savoir. À nouveau, la série nous dit que Mulder et Scully ensemble sont indispensables à la découverte de la vérité. L’un sans l’autre ne vaut rien.
De fait, un échange de Founder’s Mutation permet de mesurer que Mulder n’a absolument pas fait une croix globale sur ce qu’il a découvert précédemment, et sur l’idée qu’une collaboration active a existé entre Conspirateurs et Aliens.
Mulder: “In 1973, the Syndicate was convened to assist in a project to colonize the world by creating Alien-Human hybrids. The project was ultimately unsuccessful. I doubt they ever stopped trying.”
Scully: “What you’re talking about is changing the genetic makeup of a population. That’s the next step in evolution.”
Mulder: “Every new species begins with a Founder Mutation. One child with the correct combination of DNA could be a start.”Mulder : “En 1973, le Syndicat a été assemblé pour aider un projet de colonisation de la Terre par la création d’hybrides d’Aliens et d’Humains. Le projet a échoué au bout du compte. Mais je doute qu’ils aient jamais arrêté d’essayer.”
Scully : “Ce dont tu parles, c’est d’un changement du code génétique de la population. C’est une étape suivante dans l’évolution.”
Mulder : “Toutes les nouvelles espèces commencent par une Mutation Fondatrice. Un enfant avec la bonne combinaison d’ADN pourrait être un commencement.”
Lors de sa première confrontation avec Augustus Goldman, Scully cite l’expression utilisée dans My Struggle : « Alien DNA » établissant un lien formel avec ce qu’elle a découvert en étudiant son propre code génétique et celui de Sveta.
C’était bien cela, le travail d’Augustus Goldman pour le compte du Department of Defense : poursuivre le travail sur l’hybridation de l’ADN Humain et de l’ADN Alien. L’objectif ? Produire une étape accélérée de l’évolution et générer une nouvelle Humanité. Une des propriétés d’un Hybride génétique réussi est qu’il est immunisé contre Purity – l’Huile Noire, la force avec laquelle les extra-terrestres comptaient nous coloniser.
Et si cela avait réussi ? Et si c’était cela ce que les tests de Scully avaient révélés : pas l’ADN Alien dormant mis en évidence précédemment (The Beginning, 6×01), mais une mutation généralisée de l’ADN Humain, une Mutation Fondatrice répandue de façon accélérée. Une transformation effective de l’espèce humaine en une nouvelle espèce, dont les extra-terrestres ne peuvent plus prendre le contrôle.
2012 a été un test grandeur nature. Il ne s’est rien passé, contrairement aux plans des extra-terrestres, parce que la transformation de l’Humanité a été suffisamment avancée pour que la colonisation ne soit plus possible. Le Syndicat a vaincu les Aliens.
Simplement, il a décidé de ne pas en rester là.
Mulder: “The countdown has begun. It began in 2012, but nobody knew.”
Mulder: “Le compte à rebours a commencé. Il a commencé en 2012, mais personne ne le savait.”
Gorgé du pouvoir apporté par cette victoire, convaincu de leur capacité à changer l’ordre du monde sans que la majorité ne soupçonne leur existence, ces hommes n’allaient pas en rester là.
Depuis 2012, cette conspiration d’Humains utilisant des technologies extra-terrestres indépendamment de ceux-ci, la vision du monde de Tad O’Malley, est la seule à occuper la scène.
Simplement, elle trouve ses racines dans le passé. Cette attitude n’a pas commencé en 2012, nous le savons à partir des épisodes de la série classique : nombre d’enlèvements « par les extra-terrestres », dont celui de Scully, étaient en fait orchestrés par l’armée américaine. Par ailleurs, l’hypothèse alien a été utilisée pour manipuler à une large échelle des gens hauts placés, en leur servant des versions de la vérité qui tenaient davantage de la fiction.
J’avais tort en écrivant dans ma critique de My Struggle que les flash-backs nous montraient le crash de Roswell. L’épisode est volontairement bien plus ambigu. Il montre un vrai crash de vaisseau extra-terrestre ayant eu lieu dans le « nord-ouest du Nouveau-Mexique » en 1947. Ce que je crois que nous allons découvrir, c’est que quelques jours plus tard, un deuxième faux crash a été monté de toutes pièces dans le sud-ouest du Nouveau-Mexique, à Roswell. Une véritable mise en scène.
Cette machination était le début d’une conspiration dans la conspiration. Elle n’avait pas seulement pour objectif de masquer la vérité dans le brouillard de mensonges et de fabrications. Elle avait certainement un but opérationnel clair et sinistre, à long terme, qui nous reste à découvrir, le why dont le Vieil Homme dit à Mulder qu’il lui échappe encore totalement. Oui, Roswell était un écran de fumée.
En conclusion : À nouveau, Founder’s Mutation est un tout petit peu à l’étroit dans le format de 42 minutes, même si il a au moins la possibilité de développer une véritable enquête. Sa rapidité le rend complexe, mais nous avons à faire à un épisode solide, rempli d’images horrifiques réussies, d’un travail intéressant sur la caractérisation des personnages. Par ailleurs, tout en proposant une histoire bouclée (quoiqu’à la résolution très ouverte), le scénario de James Wong offre des clefs décisives pour replacer l’arc actuel de la mythologie dans le contexte de la série originale.
Et lundi prochain, Darin Morgan est de retour…